jeudi 11 novembre 2010

11 novembre 1940, premier grand acte de Résistance en France.

On commémore aujourd'hui le soixante-dixième anniversaire du premier acte de résistance en France. Le 11 novembre 1940, à Paris, Place de l'Étoile, des centaines de  lycéens et d'étudiants convergèrent vers la tombe du Soldat inconnu, pour rendre hommage aux combattants disparus de la Grande guerre et, dans le même mouvement, braver l'interdiction de toute manifestation publique imposée par  les autorités allemandes et par la Préfecture de police de Paris le veille.

11 novembre 1940, sur les Champs-Elysées, la jeunesse criait : "Vive de Gaulle"
par Alain Vincenot
 
En ce mois de novembre 1940, Paris, capitale d’une grande nation effondrée, humiliée, a pris des allures de ville soumise. Certes, les soldats allemands se montrent « korrects » avec la population, mais l’Occupation se lit sur les panneaux de signalisation désormais rédigés en caractères gothiques et les bannières rouge et noir qui balafrent les façades des bâtiments réquisitionnés. Des affiches conseillent : « Faites confiance au soldat allemand. » Le mois précédent, le 24 octobre, sur un quai de la gare de Montoire, paisible bourgade du Vendômois, le maréchal Pétain a serré la main d’Hitler. Le long d’une voie, était garé un train spécial frappé de la croix gammée qui remontait d’Hendaye où le Führer avait rencontré Franco. Le vainqueur de Verdun avait, lui, fait en voiture le voyage depuis Vichy. Après son appel à cesser le combat le 17 juin et l’armistice signé, le 22 juin, en forêt de Compiègne, dans la clairière de Rethondes, là-même où, le 11 novembre 1918, l’Allemagne avait admis sa défaite, il engageait officiellement la France dans la collaboration.

L’Etat français.
Dans le pays, l’atmosphère s’alourdit. Le 27 août, l’Etat français, qui désormais remplace la République, a supprimé le délit d’injure raciste. Le 27 septembre, les Allemands ont publié une ordonnance imposant le « recensement des juifs et de leurs biens en zone occupée ». Le 3 octobre, Vichy a promulgué le premier statut des juifs. Le 19, la mention « juif » ou « juive » est devenue obligatoire sur les cartes d’identité des israélites. Des mesures qui heurtent la jeunesse. Dans son numéro spécial de la rentrée, la revue de l’Union des étudiants et lycéens communistes de France (UELCF), La Relève, s’indigne : « Antisémitisme, xénophobie, démagogie sont devenus les fondements de la politique du gouvernement de Vichy. On tourne le dos à la vraie culture et à l’intelligence. A la porte les usurpateurs de Vichy, l’université française ne sera pas fasciste ! »


Arrestation de Paul Langevin.
Le 30 octobre, la Gestapo a arrêté un éminent physicien, Paul Langevin, professeur au Collège de France, qui, en 1934, avait participé à la création du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes. Dans l’après-midi du 8 novembre, au Quartier latin, que quadrille un imposant dispositif de policiers français et d’automitrailleuses allemandes, des universitaires et des étudiants de toutes tendances politiques participent à un rassemblement de soutien au chercheur emprisonné. Une information circule : rendez-vous le 11 novembre sur les Champs-Elysées. D’autres appels vont se succéder : les étudiants communistes, les jeunes socialistes du mouvement Les Faucons rouges, les gaullistes de Maintenir, la radio de Londres…Des tracts vont être distribués dans les lycées, à la corpo de droit, à la Sorbonne, dans les cafés du Quartier latin. Sur l’un d’eux, on peut lire : « Le 11 novembre est resté pour toi jour de fête nationale. Malgré l’ordre des autorités allemandes, il sera jour de recueillement. Tu n’assisteras à aucun cours, tu iras honorer le Soldat inconnu à 17 h 30. Le 11 novembre 1918 fut le jour d’une grande victoire, le 11 novembre 1940 sera le signal d’une plus grande encore. Tous les étudiants sont solidaires pour que vive la France. Recopie ces lignes et diffuse-les. » De leur côté, la kommandantur parisienne et la préfecture de police ont interdit « toute cérémonie commémorative ou démonstration publique ». Les journaux ont également publié cet avis : « Les administrations publiques et les entreprises privées travailleront normalement le 11 novembre prochain à Paris et dans le département de la Seine. »

Un jour historique.
Le matin du 11 novembre, devant une nef comble, Mgr Piguet, évêque de Clermont-Ferrand, accueille chaleureusement le maréchal Pétain : « Nous demandons à Dieu, monsieur le Maréchal, de bénir votre personne vénérée et respectueusement aimée, et de lui permettre de mener à bien son œuvre courageuse et magnifique de renouveau, pour le bonheur de la France, dotée, une fois de plus par la providence, au milieu de ses infortunes, de l’homme capable d’atténuer son malheur, de reconstruire ses ruines, de préparer l’avenir. » Bientôt, l’admiration du prélat pour le Maréchal va s’émousser. Il va notamment inciter les institutions catholiques de son diocèse à cacher les enfants juifs. Arrêté en mai 1944 par la Gestapo, il sera déporté à Dachau. Le 22 juin 2001, le mémorial Yad Vashem de Jérusalem l’honorera à titre posthume de la médaille des Justes. Toujours dans la matinée du 11 novembre, des inspecteurs de police se rendent dans les lycées parisiens. Ils ne remarquent rien de particulier. Des agents allemands visitent les facultés : même constat. C’est à partir de 16 heures, à la sortie des cours, que des petits groupes se dirigent, à pied ou en métro, vers les Champs-Elysées. Puis l’avenue va résonner de La Marseillaise et du Chant du départ. Des cris s’élèvent : « Vive la France », « Vive de Gaulle », « A bas Pétain », « A bas Hitler », « Libérez Paul Langevin ». Certains manifestants arborent des rubans tricolores. D’autres brandissent un drapeau ou deux gaules, en référence au chef de la France Libre. Des lycéens de Janson-de-Sailly déposent une croix de Lorraine faite d’œillets teints en bleu sur la dalle sacrée de l’Arc de Triomphe. Samuel Tyszelman, 19 ans, surnommé « Titi », vient du IVe arrondissement. Il sera fusillé le 19 août 1941 pour sa participation à une autre manifestation, sur les grands boulevards. Avant de mourir, il écrira à ses parents : « Si dans ma vie je vous ai parfois fait quelques misères, pardonnez-moi ; d’ailleurs, je suis sûr que vous m’avez pardonné. » Autour de l’Arc de Triomphe, les policiers français conseillent aux jeunes de déguerpir. En vain. Soudain, vers 18 heures, surgissent des soldats allemands, certains sur des side-cars ou à bord de véhicules qui foncent en zigzag sur la chaussée et les trottoirs au milieu de la foule. Matraques et crosses de fusils s’abattent sur les dos et les têtes. Des coups de feu sont tirés. Bilan de cette journée : une dizaine de blessés, un millier d’interpellations et une centaine d’incarcérations à la prison du Cherche-Midi et celle de la Santé.

Les larmes du général.
Plus tard, Maurice Schumann, porte-parole de la France libre à la radio de Londres, dira : « L’importance politique de l’événement a aussitôt égalé son importance morale. Pour rétablir le rang de la France dans le camp des futurs vainqueurs, le général de Gaulle entendait prendre appui sur un peuple qui n’était ni complice ni résigné́. Il comprit sur-le-champ que l’élite de notre jeunesse lui apportait un renfort inestimable. Quand je lui lus le passage d’un récit qui décrivait les « deux gaules » brandies par des manifestants, il écrasa furtivement une larme. Pour la première fois depuis le 18 juin, la gratitude et la fierté l’emportaient sur le chagrin. »

France-Soir, 11 novembre 2010.


On peut lire un autre récit de cette journée par ici (site resistance-ftpf.net) ou par ici (site Chemins de mémoire).


Plusieurs témoignages ont été publiés ce matin dans la presse . Des personnes de plus de quatre-vingt ans, qui se sont engagées dans la Résistance durant leurs années de lycée, à la suite de l'action menée à Paris le 11 novembre 1940.

Michel Agnellet :
"[...] Les deux Pierre, Jean, Jacques et Lucien, cinq martyrs du lycée Buffon fusillés au matin du 8 février 1943 par les nazis. Ses camarades du lycée parisien entrés en guerre un certain 11novembre 1940. Cela fait 70 ans aujourd'hui, mais Michel Agnellet se moque bien des anniversaires, n'attend pas les défilés pour rendre les hommages. "Ce jour-là, des centaines de lycéens ont convergé sur les Champs-Élysées pour commémorer l'Armistice de la première guerre mondiale, se souvient-il. On a fait ça pour dire merde à Hitler. C'était notre entrée en guerre". Michel a treize ans. Six mois plus tard, il devient le plus jeune engagé militaire de France. Inscription officielle au carnet militaire à l'appui. Stylos et compas deviennent alors fusils et mitraillettes… Les compositions de cocktails molotov remplacent les formules de chimie. "Notre maquis, c'était le lycée", note-t-il. Des simples croix de Lorraine tracées sur les murs, ces minots passent aux actes radicaux : sabotage, déraillements de train, exécutions...Leur jeune âge en fait des combattants insoupçonnables. Ils mènent leurs actions au nez et à la barbe des Allemands [...]."
D'après la Provence, 11 novembre 2010.


Pierre-André Dufetel :
"[...] De la manifestation du 11 novembre 1940, l’homme qui était alors lycéen à Condorcet, garde le souvenir d’« un mouvement individuel, spontané et patriotique ». Face au soldat allemand qui vient de lui donner un coup de crosse, il se rappelle très bien avoir crié : « Bande de salauds! » Résistant de la première heure, même si, « en 1940, le mot n’existait pas », il rejoint son père, ancien combattant de la guerre 1914-1918 et amputé d’un bras, dans la Résistance à Boulogne-sur-Mer. Arrêté par la Gestapo en septembre 1942, son père sera déporté en Prusse orientale d’où il ne reviendra pas. Pierre-André aura plus de chance : interné quatre mois dans un camp de concentration espagnol où il perdra 20 kg, il est libéré grâce à l’intervention de la Croix-Rouge. Et rejoint les États-Unis où il deviendra pilote de chasse. De retour en France à la fin 1946, il reprend ses études d’architecte à Paris : il sera Grand Prix de Rome d’architecture en 1952.[...]"

D'après le Parisien, 11 novembre 2010.


Pour une mise en perspective plus générale de l'événement dans le cadre de la Résistance française, une excellente vidéo d'Olivier Wievorka (Curiosphère.TV)  

Pour une analyse  des rapports entre la Jeunesse et l'esprit de Résistance, l'incomparable apport de Raymond Aubrac.

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